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Métro Flaubert
Format : 12,5 x 21,5 cm
Nombre de pages : 128
Prix : 22 €
Date de parution : 2002
ISBN : 9782718605876




Métro Flaubert

PRÉSENTATION

« Impossible, tranche Du Camp. “Ta scène du fiacre est impossible. Il ne s’agit pas de plaisanter…” Sur tout, et sur l’impossibilité de la chose et sur son caractère de gravité, je m’empresse de donner raison à Maxime Du Camp.
Quant au métro, si c’est l’image du métro qui m’est venue en guise d’approbation, si j’ai dit “métro Flaubert”, c’est comme on dit Porte de Saint-Cloud, métro Iéna ou Bonne Nouvelle. Et bien qu’il n’y ait pas de station Flaubert sur la ligne 9. Qui ne sait qu’avant Miromesnil, c’est Saint-Augustin ?
De station Flaubert, je crains même fort, à la réflexion, qu’il n’y en eût jamais pour personne d’autre que pour Céline. Seul son métro à lui, en tout cas, s’y arrête. Le métro, veux-je dire, qu’il nous fait prendre de force pour entrer en littérature, son “métro émotif”.
– Oui mais… oui mais… 
– Y a pas d’“oui mais” !… j’embarque tout… j’enfourne tout dans ma rame !… je vous répète ! toutes les émotions dans ma rame !… avec moi !… mon métro émotif prend tout !… mes livres prennent tout !
– Ah, par exemple ! par exemple ! Et les étrangers ? les écrivains étrangers ?
– Ils n’existent pas ! ils sont encore à déchiffrer Madame Bovary, la scène du fiacre…
Autant dire l’abc du métier. Pour l’inventeur du Fulmicoach, l’enfance de l’art. Juste où finit Flaubert, le Flaubert de la “scène du fiacre”, commence l’écriture-métro. Ce n’est pourtant pas compliqué, il n’y a pas d’autre correspondance.

La “scène du fiacre”, en quelque sorte, est un lapsus. Lapsus dans le temps : Céline aurait pu l’écrire.
Autre lapsus (de cette espèce, si je compte bien, le livre, en tout et pour tout, en commet deux), c’est l’épisode du kiosque à vitraux, au château de la Vaubyessard : Claude Simon aurait pu l’écrire. Une description qui est un examen, qui est le compte rendu d’une expérience. Une description irréalisante, parce qu’elle ne s’intéresse qu’aux qualités ; parce qu’elle privilégie les sensations visuelles sur les choses vues, et que les sensations visuelles sont un dépaysement, qui non seulement nous font obligation de détacher la réalité des symboles verbaux où nous l’enfermions, mais qui nous mettent en outre, pour ainsi dire, des yeux partout, sur le bout de la langue, au creux de la main, dans les narines, libérant l’œil, dirait Deleuze (qui tient, après Artaud, après Burroughs, le corps des sensations pour un corps nomade), “de son appartenance à l’organisme”…
Première étape sur un long chemin qui l’eût conduit, s’il y avait persévéré, à cette découverte du nécessaire engagement hystérique de la littérature, le kiosque aux verres de couleur qu’Emma visite certain matin, et d’où elle ressort aussi troublée que dans le conte la femme de Barbe-Bleue, se referme sur son secret. Que l’hystérie dût devenir un art, c’est ce que Flaubert à la date ne pouvait accepter.
La page resta dans les brouillons.

Au contraire de l’autre, au contraire de la “scène du fiacre” qui, elle, passe au livre. Y passe, disons, de justesse, nous faisant frôler la catastrophe.
La scène jurait, heurtait le bon sens. Elle manquait faire dérailler le récit, comme si, sans crier gare, elle se trompait d’histoire.
Dans le fait, elle se trompait sur tout. De ton, de clé, d’allure, de genre. Et même encore d’époque, pourquoi pas : par ces lignes de fuite que semblaient soudain lui ouvrir l’erreur ou la méprise, sortie du temps tout simplement. En littérature (mais la raison, sans cela, que nous aurions de nous intéresser encore à la littérature ?), il arrive, Dieu merci ! qu’un lapsus ne pardonne pas.

Lapsus dans le temps, l’expression est de Pascal Quignard : “Un roman dans le langage, un hapax dans la langue, un lapsus dans le temps, un raptus dans l’espace, un rêve dans la veille”.
De Pascal Quignard encore : “Tout ce qui est accueilli à l’avance est une convention. C’est un ‘remake’. Ce qui surgit dans l’air du temps est aussitôt à exclure comme périmé. À l’air du temps il faut opposer le typhon des formes qui ignorent le temps.”
Chaconne, menuet, rigaudon, gigue en bourrasque : le fiacre va vite, il va de plus en plus vite. Il va surtout où il n’est pas possible d’aller. Y allant, qui plus est, parce que c’est impossible. Y allant pour que l’impossible ait lieu.
Et il a lieu. »

          Ph. B.

© Éditions Galilée
Site édité avec le concours du Centre national du livre
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