PRÉSENTATION
Mises en scène de cadavres ou de chairs en souffrance, les images créées par Vladimir Velickovic génèrent toujours une présence saisissante. Leur expressivité formelle, véhiculée par l’inscription singulière des figures dans l’espace et l’architecture interne des corps, porte l’empreinte d’une mémoire culturelle dont le pouvoir sur l’œil encore vivement agit. Qu’il s’agisse d’un dialogue instauré avec des modèles spécifiques ou de réminiscences plus inconscientes, ces représentations de corps font écho aux motifs traditionnels des gisants et crucifiés. Motifs qui, des années 1960 à nos jours, resurgissent dans des œuvres très différentes, déclinés et interprétés librement comme autant de variations musicales.
C’est cette survivance du sacré, essentielle dans la création de Velickovic, dont prend pour objet le présent essai qui tente d’en cerner les multiples métamorphoses. Si subsistent en effet des schèmes archétypaux, gisants et crucifiés étant perçus comme symbole intemporel de la condition humaine de tout temps marquée par la mort et la violence subie, ceux-ci n’en demeurent pas moins transformés. Entre le même et l’autre, la répétition et la différenciation, les traces d’une tradition picturale chrétienne s’y trouvent modifiées dans leurs formes, leurs codes iconographiques et leurs plasticités. Là se joue la force vivante d’un passé qui, greffé aux stigmates d’une histoire et d’une mémoire plus immédiates, réapparaît dans un style singulier dont l’originalité révèle des correspondances avec une civilisation en crise. Civilisation profane au sein de laquelle la conception et la représentation de l’homme tragique ont fondamentalement changé.
Amélie Adamo est docteur en histoire de l'art, spécialiste des questions de transmission, de temps et de mémoire dans la peinture de la fin du xxe siècle. Parallèlement à son activité de critique d'art, elle enseigne l’histoire de l’art contemporain à l’université et dans les écoles d’art.